Communiqué sur les écoutes par le service de renseignement et le fichage des personnes

Dans le dossier de la « conversation volée » au ministère d’État, en 2008, entre le Premier ministre Jean-Claude Juncker et Marco Mille, directeur à cette époque du Service de renseignement de l’État (SREL), la Commission consultative des droits de l'Homme (CCDH) tient à rappeler la teneur de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) :

 

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

 

La CCDH souligne que les communications téléphoniques sont comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8 de la Convention. Une telle interception constitue une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garantit au citoyen. Les écoutes et autres formes d’interception des entretiens téléphoniques représentent une atteinte grave au respect de la vie privée et de la correspondance. Partant, elles doivent se fonder sur une loi d'une précision particulière et respecter toutes les conditions imposées par cette loi. L’existence de règles claires et détaillées en la matière apparaît indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner. Ainsi, il paraît particulièrement choquant que les procédures légales applicables au Luxembourg, ne semblent pas, dans tous les cas, avoir été respectées par le SREL et par la police.

 

En ce qui concerne l'accès des personnes fichées à leurs données dans les archives du SREL, la Cour européenne des droits de l’Homme accepte l’idée que, pour protéger la sécurité nationale, les Etats aient besoin de lois les autorisant à recueillir et à mémoriser dans des fichiers secrets des renseignements sur des personnes. Il est en outre acceptable que les autorités puissent faire usage de ces informations lors de l’évaluation des candidats à des postes importants pour la sécurité nationale. Il incombe normalement aux autorités concernées d’identifier ces conditions exceptionnelles et ces emplois spéciaux. La CCDH insiste toutefois sur la déclaration de la Cour européenne des droits de l’Homme, précisant qu’elle devait se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Car un « système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre »[1]. Les Etats doivent donc mettre en place un cadre adéquat de normes offrant les garanties d'une protection suffisante,, afin d’empêcher les abus de pouvoir des autorités publiques et la violation des droits protégés par l’article 8 de la CEDH.

 

La CCDH insiste sur l'obligation d'atteindre un juste dosage, entre, d’une part, l’intérêt général de la société (protection de la confidentialité des dossiers) et d'autre part, les intérêts de l’individu (accès aux informations concernant sa vie privée). Au vu des révélations de Marco Mille, que les informations relatives à des personnes rassemblées par le SREL sont pour la plupart datées, les intérêts de l'individu de pouvoir consulter ses données doivent prévaloir. En aucun cas, le SREL ne pourra tout simplement procéder à la destruction desdits fichiers, comme il a été insinué dans la « conversation volée ».

 

En conclusion, la CCDH incite les pouvoirs publics à la plus grande transparence possible sur ces pratiques, notamment vis-à-vis de la Chambre des Députés et de garantir que les procédures légales par rapport au recueil, au stockage et à la possible consultation par la personne concernée soient scrupuleusement respectées.

 

 

 

 



[1] Leander c/ Suède, arrêt du 26 mars 1987, paragraphe 60 « Néanmoins, la Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus car un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre (arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A no 28, pp. 23-24, paras. 49-50). »

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