Communiqué de la CCDH sur le droit à l'avortement Communiqué de la Commission consultative des Droits de l'Homme

 

« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Simone de Beauvoir

 

Le 28 septembre est la journée mondiale du droit à l'avortement qui nous rappelle les nombreuses avancées réalisées, mais également le long chemin restant à parcourir.

En effet, la CCDH s’inquiète de la tendance à revenir sur les acquis en matière de droits des femmes surtout à la suite de la décision du 24 juin dernier de la Cour Suprême des États-Unis de révoquer l’arrêt Roe v. Wade datant de 1973, qui avait consacré le droit à l’avortement comme faisant partie du droit à la liberté prévu par la Constitution américaine. Cette décision constitue un retour en arrière substantiel en matière du droit à l’autonomie des femmes de gérer leur santé reproductive et est susceptible d’avoir un impact dans d’autres pays.

Comme l’a démontré l’histoire, un encadrement trop restrictif du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), mettant en danger le droit des femmes à l’autodétermination reproductive, n’a aucune conséquence sur le nombre d’IVG pratiquées, mais engendre au contraire une multiplication de cas où elles se font dans des conditions dangereuses au niveau sanitaire, mental et économique. Ces risques sont d’autant plus accrus pour certains groupes de femmes en situation de vulnérabilité et en fonction notamment de leur origine, leur âge, leur religion, leur appartenance à une minorité ethnique, leur situation économique et sociale, leur origine migratoire ou leurs conditions de vie.

Dès lors, la CCDH tient à souligner que lorsque le droit à l’avortement n’est pas garanti, c’est le droit à l’autonomie et la liberté des femmes qui est remis en cause. Ce droit permet également de faire un pas important dans le domaine de l’égalité des genres en laissant les femmes décider librement de leur sexualité et de leur vie de famille selon leur volonté, tout en leur assurant le cas échéant les services appropriés. L’avortement légalisé et sécurisé constitue un droit essentiel des femmes et est inséparable des droits humains.

Dès 1978, le Luxembourg s’est doté d’une législation permettant et encadrant le droit à l’avortement, révisée en 2014 en consolidant l’autonomie des femmes. La Chambre des Députés a réitéré sa position par l’adoption d’une résolution le 28 juin dernier qui « condamne toute initiative visant à interdire, à criminaliser ou à limiter l'accès à un avortement légal et sûr », qui n’a toutefois pas été votée à l’unanimité (56 voix pour et 4 contre).

Au niveau européen, bien qu’une grande majorité de pays de l’Union européenne autorisent l’IVG, celle-ci reste interdite à Malte et largement interdite en Pologne (sauf en cas de viol ou d’inceste). Au niveau des pays du Conseil de l’Europe, des restrictions sont prévues dans 6 pays sur 46.

Malgré les avancées législatives indéniables, la CCDH rappelle que les droits reproductifs des femmes, y compris le droit à l’avortement, ne doivent pas rester lettre morte. Leur effectivité est primordiale et l’État doit garantir le caractère concret et réel de leur existence, pour qu’ils ne deviennent jamais théoriques et illusoires. Dans ce cadre, l’État doit veiller à encadrer les situations qui pourraient faire obstacle à cette effectivité.

Il est ainsi primordial qu’il y ait un nombre suffisant de praticiens pour veiller à l’effectivité de ce droit. Pour ce faire, la CCDH souligne l’importance de la formation en matière d’IVG. De plus, elle se prononce aussi pour le rallongement du délai de 12 à 14 semaines de grossesse, tel que demandé depuis des années entre autres par le Planning familial, et à l’instar de plusieurs autres pays européens et de l’évolution législative récente en France.  

Malgré la législation de fond progressiste, les procédures établies devraient être adaptées aux réalités du terrain pour éviter qu’elles ne deviennent un frein pouvant retarder toute intervention. Un point important sont les échographies obligatoires effectuées afin de déterminer l’âge de la grossesse, qui doivent être réalisées par un gynécologue, mais qui pourraient l’être par d’autres médecins ayant reçu une formation spécialisée reconnue.

Il en va de même de l’objection de conscience qui autorise les médecins à ne pas pratiquer cet acte pour des convictions éthiques, morales et religieuses. Il est indiscutable que cette clause ne saurait en aucun cas affecter l’effectivité de la législation en vigueur et qu’il incombe à l’État de garantir un tel accès.

La CCDH souligne également la nécessité de structures adéquates, rendant l’accès à l’IVG et aux informations nécessaires accessibles sur tout le territoire. Il est également nécessaire que le Luxembourg se dote de statistiques nationales, au-delà de celles collectées par le Planning familial, quant aux avortements pratiqués, qu’ils soient médicamenteux ou chirurgicaux. Le nombre d’avortements avait été estimé en 2013 dans une fourchette de 1.500 à 2.000 par an sans pour autant donner des détails quant à l’âge des femmes, le milieu social, ou d’autres informations importantes. De plus, il convient de faire une vaste campagne de sensibilisation pour éviter les avortements clandestins, dont le nombre reste inconnu.

La CCDH souligne la fragilité des droits considérés comme des acquis et se montre préoccupée par le danger d'un retour en arrière pour quelle que raison que ce soit. De nombreuses voix se sont élevées depuis le 24 juin 2022 pour réclamer d’inclure le droit à l’avortement dans la constitution luxembourgeoise. La CCDH souhaite souligner que rien que la formulation d’une telle demande démontre la fragilité de ce droit dans l’esprit de très nombreuses personnes. L’inscription du droit à l’IVG dans la constitution érigerait ce droit à un rang constitutionnel et confirmerait ainsi le droit à l’avortement comme un droit fondamental des femmes.

En parallèle des points susmentionnés, un point essentiel demeure l’éducation sexuelle et affective qui est toujours déficitaire et seulement ponctuelle dans l’enseignement fondamental et secondaire, de même que dans l’éducation non formelle. À part des cours en biologie sur la reproduction, l’enseignement de l’éducation sexuelle et affective reste difficile pour beaucoup d’enseignants qui n’ont pas reçu une formation spécifique et obligatoire en la matière. S’engager dans l’enseignement de l’éducation sexuelle et affective reste à la discrétion des directions d’établissements et dépend des enseignants individuellement, et ceci malgré la disponibilité d’une documentation de qualité. La CCDH ne saurait accepter cette attitude qui existe depuis de nombreuses années et demande au Ministère de l’Éducation Nationale et à tous les autres acteurs concernés de créer les conditions pour qu’une telle éducation devienne partie intégrante et obligatoire du cursus scolaire des enfants et des adolescents au même titre que d’autres contenus.

Dès lors, la CCDH salue les efforts qui ont été entrepris à ce jour, mais exhorte le Gouvernement luxembourgeois et la Chambre des Députés à rester vigilants quant à la défense du droit des femmes et des filles de disposer de leur santé sexuelle et reproductive. À cet égard, elle les invite à analyser la situation actuelle relative à la législation luxembourgeoise à la lumière des développements récents en termes de droits humains. La CCDH estime que la vie relationnelle, affective et sexuelle, dont fait partie le droit des femmes à l’avortement, est d'un intérêt capital pour le développement de toute société démocratique.

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